L'appel des soignants

Protégez les personnes les plus vulnérables et les valeurs du soin !

Mesdames et messieurs les député-es,

Vous débutez aujourd’hui l’examen d’un projet de loi qui pourrait radicalement modifier l’accompagnement des personnes en fin de vie, les pratiques soignantes et les représentations collectives du soin. Le texte qui vous est proposé est en rupture profonde avec les réalités que nous, aides-soignant-es infirmier-es, psychologues, médecins, expérimentons au quotidien avec les personnes que nous soignons. Il est aussi en grand décalage avec les promesses faites ces derniers mois.

On nous assurait un dispositif d’exception, qui ne serait « ni un droit ni une liberté » mais concernerait seulement quelques personnes dans des situations rares de grande souffrance. Le projet adopté par la commission spéciale est au contraire un modèle dont l’objectif, assumé par les votants, est la possibilité d’accéder à une  fin de vie, assistée par des soignants, dans les situations médicales les plus larges y compris celles qui laissent espérer plusieurs années  de vie.

On nous annonçait des « critères stricts » d’éligibilité. L’observation des expériences étrangères faisait craindre, qu’à court ou moyen terme, ils ne soient que provisoires. La commission spéciale nous a malheureusement donné raison bien plus tôt que nous ne l’aurions imaginé. Les critères du texte actuels sont larges et flous, donner la mort devient « un soin » et le choix de l’euthanasie ou du suicide assisté est laissé à la personne sans considération des conditions familiales, sociales ou financières de ce choix et la personne qui devra effectuer le geste mortel est laissée imprécise.

On nous promettait une « loi de fraternité, qui concilie l’autonomie de l’individu et la solidarité de la nation ». Les mots ont un sens. « La loi a une fonction expressive, elle dit les valeurs et les choix d’une société. » (Badinter 2008) Le projet de loi qui vous est proposé répond à une vision profondément individualiste et libertaire de notre société comme si la mort n’était pas à la fois un événement intime et profondément collectif et comme si l’implication d’un tiers n’était pas un changement anthropologique majeur. En autorisant la mort provoquée comme réponse à la souffrance, ce projet de loi constitue une incitation implicite à demander la mort pour les personnes âgées, vulnérables, précaires, isolées, celles-là mêmes que la loi est supposée protéger. Il pourrait être plus facile d’obtenir une réponse à une demande de mort qu’à des soins dignes d’une démocratie quand il faut aujourd’hui parfois plus de six mois pour obtenir un rendez-vous en centre anti-douleur.

On nous parlait d’un « équilibre », « fruit d’une réflexion profonde et collective ». Or des repères éthiques fondamentaux sont balayés. L’expérience des professionnels, membres des organisations signataires, montre que les demandes de mort sont ambivalentes, fluctuantes, ont besoin certes d’être entendues mais disparaissent presque toujours quand on a pris le temps de soulager, de comprendre les mobiles souterrains qui poussent la personne à vouloir disparaître. Les valeurs du soin sont dévoyées en leur essence-même puisqu’on nous propose de renoncer à chercher toujours la voie du soulagement. Soulager en s’ajustant à chaque situation singulière au risque de la survenue de la mort ne sera jamais la même chose que provoquer délibérément la mort d’une personne en souffrance.

On nous garantissait une procédure encadrée. Nous découvrons que celle-ci sera expéditive : une simple demande orale, formulée sans témoin, ce qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde, devant « un médecin » dont les compétences en matière d’accompagnement de la fin de vie sont indéfinies, sans procédure collégiale, suffira à obtenir la mort. Des proches pourront pratiquer le geste mortel, ce qu’une fois encore, aucun autre pays n’a envisagé, avec les risques de traumatismes ou d’abus que cela pourrait entraîner. On s’aperçoit que le geste létal pourrait être pratiqué n’importe où, sans prévention quant aux dérives prévisibles.

On parlait d’un « modèle français ». Or la seule exception française se situe dans la coercition qu’imposerait ce texte : aux pharmaciens, dépourvus de clause de conscience ; aux établissements sanitaires et aux établissements médico-sociaux qui seraient « tenus » d’organiser la procédure mortelle en leurs murs ; à l’ensemble des soignants enfin, dont l’engagement même sera menacé par un « délit d’entrave » face à un désir de mourir. Celui-ci viendrait les réduire au rôle de prestataires de service, désarmés face aux demandes de mort et confrontés à un risque de judiciarisation. Et qu’en sera -t-il de ce délit d’entrave face à nos efforts de prévention du suicide ?

Ce texte instaure une profonde fracture de notre société qui pèsera avant tout sur les personnes les plus vulnérables. Ce que nous prédisions depuis des mois s’est réalisé en quelques jours par l’adoption des amendements proposés par des membres de la commission spéciale et les « conditions strictes » ont disparu avant même la première lecture à l’Assemblée.

Mesdames et messieurs les député-es, rappelez-vous : durant l’épidémie de COVID, vous applaudissiez les soignants aux fenêtres de vos enfermements. La République privilégiait avant tout les valeurs du soin et nous demandait de nous mobiliser avec force et parfois témérité.

Mesdames et messieurs les député-es, que devons-nous faire pour être écoutés ? Aidez-nous à sauvegarder ces valeurs du soin, elles portent en elles les valeurs de la société de demain.

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